Contributions au rapport parlementaire contre l’extrême droite en ligne

La commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite à laquelle j’avais participé vient de rendre son rapport.

Extraits :

Par ailleurs, l’organisation des groupuscules d’extrême droite se donne à voir dans la maîtrise d’internet, et ce à plusieurs niveaux. Tout d’abord, les sites d’information de la fachosphère donnent une caisse de résonnance très importance à leurs idées. Ainsi que l’a déclaré au cours de son audition M. Tristan Mendès France, enseignant au Celsa, maître de conférences associé à Paris Diderot, Égalité et Réconciliation est le premier blog politique français, avec une audience comprise entre 5 et 7 millions de visiteurs par mois. Plusieurs autres ont une influence décisive dans le milieu de l’ultra-droite : Riposte laïque, Boulevard Voltaire, Polémia, Fdesouche ou encore Novopress. Les groupuscules d’extrême droite trouvent dans ces sites parfois une tribune pour leurs dirigeants et à tout le moins une plateforme où leurs idées délictueuses sont exprimées.

L’éducation à l’information et aux médias est une priorité qui a été pointée par de nombreuses personnes auditionnées devant la commission d’enquête. « L’éducation à l’image, aux médias, est évidemment le nerf de la guerre, notamment pour les générations qui arrivent », a fait valoir M. Tristan Mendès France.

M. Tristan Mendès France, enseignant au Celsa, a expliqué que des chaînes YouTube de militants ou activistes d’extrême droite parvenaient ainsi à récolter des fonds pour faire progresser leur visibilité ou alléger certains frais de justice : « il s’agit quasiment de salaires », a-t-il observé.

L’ancien secrétaire d’État chargé du numérique et le spécialiste des nouvelles cultures numériques, M. Tristan Mendès France, ont souligné et illustré la capacité impressionnante des mouvances d’extrême droite à épouser les codes et les techniques les plus innovantes des différentes plateformes pour y importer leurs idées et élargir leur sphère d’influence.

Pour illustrer la parfaite maîtrise des nouveaux codes qui caractérise ces mouvances, M. Tristan Mendès France a insisté sur l’utilisation extensive et très efficace des mèmes, motifs ou images chargés idéologiquement qui se diffusent de manière virale. Très prisés par les jeunes générations et très caractéristiques de la culture de l’extrême droite en ligne, ces mèmes font l’objet d’une utilisation qui est emblématique de la « guerre sémiologique », pour reprendre la terminologie employée par le spécialiste des nouvelles cultures numériques, qu’elle y mène.

Sur le fond, parmi les messages véhiculés par cette nébuleuse, ainsi que l’a souligné M. Mendès France, « on trouve pêle-mêle, de façon cumulée ou non, un discours antisystème, complotiste, anti-migrants, raciste – évidemment –, antimusulmans, antisémite, négationniste, mais aussi et surtout un discours, qui tient une place prépondérante, antiféministe, anti-LGBT et masculiniste, de façon très radicale, un discours assez traditionnellement anti-médiatique, anti-élite et anti-Europe – celle-ci étant considérée comme très faible – et un discours favorable aux régimes forts et populistes, ce qui est également propre à l’extrême droite ».

S’il n’y a pas d’unité d’action en ligne de toutes les composantes de cette nébuleuse, M. Tristan Mendès France a souligné qu’il existait des convergences ou associations opportunistes, des partenariats ponctuels entre individus ou groupes qui ne partagent pas les mêmes agendas idéologiques mais qui peuvent se coordonner pour une action spécifique en fonction des sujets, des enjeux et de l’actualité.

Par ailleurs, pour M. Tristan Mendès France, « la nébuleuse dont nous parlons […] n’a plus de frontières, et les partenariats qui se tissent peuvent être transnationaux ». Ces partenariats ont conduit M. Mounir Mahjoubi à évoquer l’émergence d’« une internationale de l’extrême droite, une internationale de la fachosphère, qui va de l’alt-right américaine à certains pro-Brexit en passant par certains nationalistes d’Europe de l’Est et d’Italie, dont l’action est parfois synchrone même si je ne peux pas prouver qu’elle soit coordonnée. Je n’en ai pas les preuves et ne puis vous dire que l’État français en a les preuves. Mais nous ne pouvons cependant que constater que sur certains sujets, ils arrivent à hisser très haut certains contenus au même moment ».

« On voit également », a ajouté M. Tristan Mendès France, « que différents acteurs, de différentes natures, viennent jouer dans cet écosystème. Il y a des acteurs étatiques – on a de forts soupçons d’ingérence de la part d’agences pro-russes qui chercheraient à soutenir ou à accentuer la visibilité de certaines propagandes qui font irruption dans la fachosphère ». Si l’ancien secrétaire d’État a indiqué qu’il était difficile de prouver la manipulation des acteurs de la fachosphère française par des puissances étrangères, M. Tristan Mendès France a relevé que l’ambassade russe à Londres utilise sur Twitter des mèmes (en particulier Pepe The Frog, mème très emblématique de l’extrême droite) pour communiquer et faire des clins d’œil à la fachosphère européenne !

M. Tristan Mendès France a également insisté à juste titre sur le problème posé par la publicité programmatique : « L’économie, notamment l’univers de la publicité, […] est en train de basculer vers le numérique. Ainsi les entreprises utilisent de plus en plus souvent Google pour placer des publicités sur des millions de sites autour de la planète. Mais elles ne savent pas sur quels sites sont diffusées ces publicités : c’est Google qui se charge d’orienter celles-ci vers les différents sites ou blogs. Le problème, évidemment, c’est que certains d’entre eux appartiennent à des mouvances radicales d’extrême droite, très toxiques, qui promeuvent des discours de haine absolument abjects et qui, malheureusement, se financent de cette manière. Le fait que les entreprises embrassent la culture numérique est certainement une bonne chose, mais elles doivent prendre conscience que leur incombe la responsabilité d’opérer un tri entre les différents sites sur lesquels leurs publicités sont affichées, car elles peuvent financer ainsi, à leur insu, des plateformes racistes, antisémites, négationnistes ».

À cet égard, ainsi que l’a illustré M. Tristan Mendès France, « des citoyens américains ont pris une belle initiative, peu après l’élection de Trump. Regroupés sous le nom de Sleeping Giants, ils ont invité les internautes à se rendre sur Breitbart News, un site d’extrême droite américain extrêmement toxique, pro-Trump, anti-migrants et raciste, qui faisait de la publicité Google, à réaliser une capture d’écran dès qu’y apparaît la publicité d’une entreprise connue, puis à la partager sur les réseaux sociaux et à interpeller ladite entreprise pour qu’elle “blackliste” ce site, comme elle en a la possibilité. Les Sleeping Giants sont ainsi parvenus à réduire les revenus de Breitbart News de plusieurs millions de dollars. Ils ont désormais une antenne en France, où ils se sont attaqués à Boulevard Voltaire, dont ils ont également, je crois, considérablement asséché les revenus publicitaires ».